Je vous livre en exclusivité le contenu de l’interview que j’ai accordé au Journal Ebourse dans son édition de ce jour 24 Avril 2022.
Dans la présente interview, j’ai essayé de mettre en avant l’un des fondamentaux de l’intelligence économique, à savoir, prendre conscience de son espace d’ignorance et tenter d’acquérir la connaissance, soit la bonne réponse à un problème identifié, en posant la bonne question. J’ai soutenu également lors de cet interview que l’intelligence économique est un précieux outil au service de la gouvernance des entreprises et des organisations mais qui reste malheureusement méconnu aussi bien par les entreprises que par les universités et grandes écoles de formation.
Ebourse : Vous définissez l’intelligence économique comme étant l’art et la science des questions. Pourriez-vous nous en donner quelques précisions ?
Mr Abdeldjelil Labdi : Je vous répondrais à cette question, en m’appuyant sur une célèbre citation d’Albert Einstein qui disait que, s’il avait une heure, soit 60 minutes pour résoudre un problème dont sa vie dépendait, il passerait les 55 premières minutes à trouver la meilleure question à se poser. Lorsqu’il trouverait cette question, il lui suffirait, alors, 5 minutes seulement pour trouver la bonne réponse. Autrement dit, un problème, lorsqu’il est bien posé et mieux identifié, il est toujours à demi résolu.
Savoir ce que l’on veut est essentiel dans notre vie, aussi bien professionnelle que personnelle, et c’est le fondement même de la démarche d’intelligence économique. La finalité première du management des entreprises est de résoudre des problèmes. Cela se passe, bien entendu, tous les jours. Quoi de mieux que de connaître en profondeur ses problèmes ? Comment ? Par le questionnement permanent, bien sûr. Trouvez la bonne question relative à votre souci et le problème est quasiment résolu. C’est le fondement même de l’intelligence économique: Prendre conscience de son espace d’ignorance et tenter d’acquérir la connaissance (ou l’information) qui manque.
C’est donc un précieux outil au service de la gouvernance des entreprises et des organisations, selon vos propres dires. Pourquoi alors aucune entreprise, me semble-t-il, ne l’a adopté jusqu’à présent en Algérie ?
L’ignorance est un fléau universel. Toute la planète en souffre et notre pays n’y échappe malheureusement pas. Nos entreprises ne savent tout simplement pas qu’il existe un outil très pratique qui peut leur rendre d’énormes services dans leur gestion de tous les jours. Nos grandes écoles et universités sont également dans la même ignorance et elles n’en parlent presque pas. La démarche d’intelligence économique est donc un outil qui reste à découvrir.
Qu’en est-il justement de son enseignement dans nos écoles et nos universités ?
A mon sens, on ne peut dissocier les deux disciplines que sont le management et l’intelligence économique. Ces deux disciplines doivent agir simultanément et en parfaite cohérence au profit de l’entreprise. L’intelligence économique ne doit jamais rester un luxe inaccessible pour le monde de l’entreprise.
Les formations dispensées jusqu’à maintenant au profit de l’entreprise aussi bien par l’université que par nos écoles privées sont, à mon sens, incomplètes pour bien armer nos étudiants de façon à affronter les défis du monde de l’entreprise d’aujourd’hui et de demain où l’incertitude, l’insécurité, l’imprévisibilité et l’instabilité règnent en maîtres.
Même les nombreuses formations High Tech et très coûteuses dispensées par le privé, du type MBA toutes spécialités confondues et Ingéniorat d’affaires, sont concernées par cette problématique. Nos étudiants destinés à être les acteurs du monde de l’entreprise de demain doivent nécessairement s’approprier l’ensemble des techniques, savoir et savoir-faire du monde très fermé de l’information et de son utilisation dans le monde de l’entreprise.
L’information, l’information opérationnelle, l’information stratégique, l’information prévisionnelle ou encore le renseignement sont nécessaires pour accroître la visibilité de l’entreprise dans un monde de plus en plus mouvant et instable.
Ce ne sont pas uniquement les informations brutes qui sont collectées à travers les sources classiques qui sont sollicitées lorsque l’on veut mettre en place une meilleure gouvernance. Ce sont également les informations issues des traitements analytiques grâce aux nombreux outils informatiques disponibles actuellement qui doivent être intégrés dans les processus décisionnels en entreprise.
Et toute cette technologie de la gestion de l’information est fournie grâce à la démarche d’intelligence économique. Je dirais qu’enseigner du management sans intelligence économique est un investissement qui n’est ni performant ni rentable. Nos écoles, universités et académies dédiées à l’entreprise doivent se remettre en cause et s’adapter au nouveau monde de demain qui frappe déjà à nos portes.
Il est aussi déplorable de constater qu’aucun cabinet ou bureau d’expertise n’est ouvert en Algérie pour des services d’intelligence économique. Comment expliquez-vous cette défaillance ?
Je vous répondrais à cette question en constatant tout simplement que le terme «Intelligence économique» est toujours inexistant dans le lexique des codes d’activités délivrés par le Centre national du registre du commerce en Algérie. Traduction : L’intelligence économique n’est pas une activité reconnue d’utilité publique par les autorités.
Que préconisez-vous pour mettre sur rail l’intelligence économique dans notre pays ?
J’estime, à mon sens, que l’urgence des urgences sera de commencer par définir, avec précision, le modèle de développement économique que nous souhaitons mettre en place pour notre jeune pays.
Vers la fin des années 80, nos décideurs ont pris conscience de la non pertinence du modèle socialiste suivi dès notre indépendance acquise. Dès lors, ils ont décidé de lancer tout un plan de réformes économiques pour aller vers une économie plus libérale. Nous sommes donc, depuis plus d’une trentaine d’années, dans une phase de transition vers une économie de marché. Cette phase de longue transition doit être écourtée en toute urgence et décider enfin de ce que nous souhaitons pour notre jeune nation.
Nous n’avons malheureusement pas beaucoup de choix à faire. Tendre vers une économie de marché sera notre unique salut. Bien évidemment, le caractère social de l’Etat algérien devra être maintenu mais en examinant attentivement quelles mesures seraient idoines pour préserver les populations vulnérables. Un autre gros chantier devra être entrepris pour voir comment réhabiliter le travail, source de toute richesse. Nous devrons également produire au moins ce que nous mettons sur nos tables à manger (sécurité alimentaire), réhabiliter la justice, la santé et l’éducation, piliers non négligeables d’un Etat viable.
(C) 2022 Labdi Abdeldjelil